La clef du bonheur Bobinski
Cétait une journée qui avait toutes les allures nécessaires pour être aussi misérable, banale et ennuyeuse que toutes les autres qui lavaient précédée. Du moins, cétait limpression que Stanislaw Bobinski, surnommé « Bob » avait pendant que, dun air distrait, il urinait sur la coquerelle pour la faire tomber dans le bol crasseux de la cabine de toilette.
Baigné dans cette atmosphère oppressante où se mêlaient de façon indissociables odeurs de vieille urine, de sueur et de café, Bob ruminait sur sa situation.
Comme chaque matin de chaque jour, il sétait levé à six heure.
Comme chaque matin de chaque jour, il trouva ce vieil homme joufflu, à demi chauve et criblé de rides dans le miroir.
Comme chaque matin de chaque jour, il avait mangé des toasts au beurre darachide sans beurre, bu un café sans goût, pris sa vieille Buick sans permis pour se rendre à son travail sans intérêt et continuer de vivre sa vie sans but.
Comme un prisonnier du temps, condamné à revivre chaque jour la même misère et à subir son existence comme un châtiment, il faisait son temps.
Né en Pologne, Bob fit des études en lettres malgré le désaccord de ses parents. Déchiré entre le pratique et la poursuite de ses rêves, Bob choisit de suivre la voie inspirée par les songes. Fasciné par la langue Française et les grands espaces naturels du Canada, Bob émigra à Montréal pour poursuivre ses études et rencontrer celle qui deviendrait la mère de ses enfants.
Une fois endetté jusquau cou, avec rien dautre en poches que son diplôme en lettres, Bob fit son entrée dans le monde de la littérature québécoise où il se heurta à plusieurs embûches. Celle qui cella son statut de has-been prit la forme dun comité dévaluation et de critique littéraire qui lui reprocha lorthographe des mots de son texte. Plein de bonnes volontés, Bob rétorqua, dans son français aux notes polonaises, quau moment où les ingénieurs de lindustrie automobile inventent et conçoivent un nouveau model dauto sport, ils se fichent bien de la couleur de la maquette. Pourtant, rien ny fit, personne ne sarrêta sur les jeux de sonorités des mots de ses textes, la richesse des rimes, les références à la beauté du paysage québécois où à lesprit symbolisé dans le choix des verbes et des figures, il y avait des fautes, point!
Mauvais, pas bon, poubelle, SUIVANT!
Personne ne voulut plus de lui, pas même sa femme ni même ses enfants. Le seul endroit où il put dénicher un emploi fut un journal à potins bas de gamme publiant des articles vaseux sur des célébrités dont tout le monde se fiche royalement. Il devint donc un has-been écrivant des articles sur des has-been.
Ses munitions sépuisant, son torrent vengeur ne parvint pas à déloger la coquerelle qui secoua ses antennes en geste de défi à lencontre du polonais québécois de 55 ans qui rangea son outil dans son pantalon aussi brun que le cerne de la toilette. Tout en sassoyant sur son fauteuil jadis confortable, transpirant autre chose que du bonheur, il se surprit à rêver de jours meilleurs, daventures dans des pays lointains et mystérieux, de célébrité, du grand amour retrouvé et lévasion de cette prison temporelle.
La clé qui devait ouvrir la porte de sa cellule avait un nom, Ambre, une femme quil avait croisée à plusieurs reprises en buvant un café près des rues St-Denis et Ontario. Jamais il navait osé échanger avec elle plus de quelques phrases et encore moins daller avec lui, mais sa lutte contre linsolent insecte fut la dernière insulte quil put endurer.
Il hurla un bon coup et jeta tout ce qui lui passait sous la main à la tête des autres occupants du bureau avant de se précipiter dans sa voiture et de rouler à tombeau ouvert sur le boulevard pour finalement enlever lélue de son cur.
Cest dans un hôtel à rabais, après ces quelques minutes dextases passées avec Ambre quil songea sans peine ou remords à sa femme et à ses enfants. Il se remit à rêver de fabuleux voyages au loin avec sa conquête, peut-être même quil pourrait se remettre à écrire. Oh, oui, il le sentait, sa chance et son bonheur allait revenir. Puis, dune voix douce, enjôleuse, sa compagne lui murmura bien bas : « Ça va faire 80 piastres mon chou. »
Fini'Fel