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Jour 1
J’arrive au labo de la Kane HX. La structure imposante du bâtiment se détache sur l'azur du ciel.
Il tend vers le ciel sa tour immense comme un message de défi aux dieux.
Ma motivation? Besoin de calme. Ce séjour est l’occasion d’oublier un moment ma librairie. Et mes clients.
J'ai donné avec bonheur les clefs de ma librairie à mon apprenti. Qu'il se débrouille avec leurs exigences!
Je soupire. J’aime mon travail. Mais ces heures loin des bandes dessinées me semblent un oasis bien agréable.
Pas de couverture, pas de personnage, pas de case. Aucun dialogue inquiétant. Pas de méchant omnipotent.
Et surtout personne pour demander pour la énième fois si j’ai reçu ce volume sur le Gobelin! 3 jours de tranquillité !
Perdu dans mes pensées, je n'ai pas remarqué être déjà entré dans le bâtiment. L'infirmière m'accueille.
Elle est jeune. Plutôt agréable à regarder. Je lui souris. Son regard est à la fois doux et confiant.
Je ne ressens aucune crainte. Je la suis dans les couloirs aseptisés. Nos pas réveillent l'écho des murs immaculés.
Le sas d’entrée s’est refermé derrière moi. Le bruit de la fermeture automatique m’a fait sursauter. Pas de sortie.
Les portes défilent une à une. Massives à l’ouverture gérée par ordinateur. Frissons. C'est un labo ou une prison?
Je sais que ces chambres abritent d’autres sujets tels que moi. Ensemble et pourtant séparés.
La chambre ne souffre aucune fioriture. Un lit, un lit bureau avec un ordinateur, douche, évier et commodités.
On va m’injecter des nanobots inertes dans le corps. Une expérience comme une autre.
Oui, j’ai bien compris ce qui va se passer. Non, je ne suis pas nerveux à cette idée.
L'infirmière sort une seringue de sa mallette. M’invite à m’asseoir sur le lit.
Le matelas n’est pas terrible. Heureusement que l’infirmière est jolie.
Le liquide visqueux remue doucement dans la seringue. Je retiens un frisson de dégoût.
L’injection n’est pas douloureuse. Seules la consistance et la couleur du produit sont étranges.
Noir comme l’ébène, le liquide se répand sous ma peau. J'imagine les nanobots partant à l'assaut de mon corps.
Mais ils ont dit qu'ils étaient inertes. Il ne devrait donc y avoir aucun problème.
Je passe et repasse mes doigts à l’endroit de l’injection. Je sais qu’ils sont en moi. Je ne les sens pas.
Satisfaite de son travail, l’infirmière s’en va. La porte claque, son parfum s'efface. Ca y est. Ils voyagent en moi.
C'est l'heure du repas. J'hésite à les rejoindre.
Je m'installe à une table. La nourriture est insipide.
J'étais si content de trouver une tarte à la mangue sur mon plateau. J'hésite à la manger, vu le goût du reste.
Les autres se parlent. Je n'ai pas envie d'être dérangé. Pas par eux.
Je souris en regardant mon assiette. Cette nourriture doit être infestée de nanobots pour avoir cette apparence.
Enfin, je ne suis plus à un nanobot près! Sous mon palais, la viande a le goût de carton.
Elle me demande si elle peut s’asseoir. Je relève les yeux. Devant moi, plateau entre les mains, elle me regarde d'un air gêné. "Je t'en prie."
Elle s'assied à côté de moi. Ne dit rien. J'apprécie cette compagnie.
Je la regarde du coin de l'oeil. J'ai l'impression que je la connais. Je voudrais lui parler.
Je voudrais trouver quoi lui dire.
Je me lance : « Un morceau de cette magnifique tarte au goût technologique? »
Ne pas l'effaroucher. Surtout, ne pas la brusquer.
Elle s’inquiète de la composition de la tarte, je réponds : « Du plastique, des bots. Peu importe. L'important c'est de la partager. »
Je lui donne la moitié de mon dessert. Acceptera-t-elle le cadeau?
Le contact de ses doigts avec les miens lorsqu'elle prend sa part est délicieux. Je souris encore.
Les infirmiers nous tournent autour. C'est déjà l'heure de rentrer dans notre chambre.
J'espère que je la reverrai.
Je m'installe devant l’ordinateur, passe mes doigts sur la table blanche. Si lisse. Comme tout ce qui m'entoure.
« Vous pouvez envoyer nous envoyer vos impressions par ce canal. », a-t-elle dit avant de refermer la porte.
Génial. M’épancher sur un ordinateur. Un sourire ironique passe sur mon visage.
Aucun bruit alentour. Même la climatisation est discrète. Uniquement mes doigts sur le clavier. Ce calme.
Il fait chaud. Je me lève, fais le tour de la chambre. Pas moyen d’adapter la température. Je m’installe sur le lit.
J'ai l'impression que la sueur couvre mon front. Je sens les gouttes couler le long de mes tempes. Chaud. Trop chaud.
Je n’aime pas être enfermé. Plus je pense à ce lieu clos, plus j’ai chaud.
J'avais imaginé qu'un jardin serait à notre disposition. Que nous pourrions prendre l'air.
Pas d'autre air que celui diffusé par cette minuscule ouverture dans la chambre.
Je sais que l'air qui en sort est frais. Pourquoi ai-je donc si chaud?
J’essaie de respirer calmement, fixant le plafond immaculé. Ne penser à rien. Se laisser emporter par la blancheur.
Le blanc. Rien d'autre que le blanc. Ma respiration. Calme-toi, Albafica.
Je m’apaise. Mon coeur ne s'affole plus. La sensation de chaleur disparaît. Qu'est-ce que c'était?
Je me sens mieux. Je suis le train du sommeil d’aiguillage en aiguillage jusqu’au fond de mes rêves.
Mon sommeil est agité. Mes muscles se tendent. Mes mains se crispent sur les draps blancs.
Je m'agite de plus en plus. Mes mouvements sont désordonnés. Cela fait longtemps que le drap est à terre.
J'ai l'impression d'être prisonnier de mon rêve. Où est la sortie?
Ma voix déchire le silence de la chambre. Je me réveille en sursaut, haletant.
Passe la main sur mon front en sueur. Les murs, le lit, l'écran bleuté de l'ordinateur. Je retrouve mes repères.
Ma respiration saccadée emplit toute ma chambre.
Je rêvais. Je cauchemardais. Mais qu'ai-je donc vécu dans ce cauchemar?
Je ne me souviens que de cette sensation. La fuite. La nécessité de me sauver.
Et de cette voix qui résonnait dans ma tête : "Tu n’existes pas."
Je regarde encore une fois l’endroit de l’injection. Aucune rougeur. Aucun gonflement.
Rien.
Ils ont dit que les nanobots étaient inertes.
Je doute de plus en plus.
L'infirmier entre dans la chambre. Je regrette le sourire et les courbes de Mary.
Moi, si calme d'ordinaire, j'ai envie de le secouer. De lui soutirer les réponses à mes questions.
J'essaie de lui parler. Il ne répond pas. Ma température ne m'intéresse pas. Regarde-moi quand je te parle!
Ne pas s'énerver. Il ne fait que son travail. Il a sûrement reçu comme consigne de ne pas interagir avec nous.
La porte se referme. Je n'ai pas une seule information de plus. Merci, Kane HX! Le séjour chez vous est inoubliable!
J'ai faim. Curieusement, cette sensation surpasse toutes les autres. Est-ce l'heure?
Je m'aperçois que je souris bêtement en repensant à la rencontre furtive de ce midi.
Sera-t-elle toujours là? Oserais-je encore la cotoyer?
J'ai entendu le verrou s'ouvrir. Est-ce l'heure du repas? Je vais enfin sortir de ce cube blanc.
Dans le couloir, j'entends d'autres patients qui s'agitent, cognent sur les portes de leur chambre.
Je manque d'éclater de rire devant le plateau qu'ils nous servent. Ils devraient revoir la définition de la nourriture.
Je suis le premier dans la salle. Je m'assieds et j'attends. Pourquoi mon coeur se serre-t-il dans ma poitrine?
Les patients arrivent peu à peu dans la salle commune. Je reconnais mon regard dans le leur. Que nous ont-ils faits?
Je me concentre sur mon plateau. Les voir ne me renvoie que ma propre image. Déboussolés, égarés.
Ensemble, mais seuls.
Je m'arrache à la contemplation désabusée de mon assiette. Je la vois. Pourquoi ne me rejoint-elle pas?
Elle me voit, s’approche.
Elle me demande si elle peut s’asseoir à mes côtés. "Bien sûr." Je souris, essaie de garder mon calme. Ne pas montrer que sa présence en ce lieu me rassure.
Lorsqu'elle s'assied à côté de moi, je sens son parfum. J'oublie le lieu, le pourquoi de notre présence ici.
Je voudrais encore lui parler, entendre le son de sa voix.
Je n'ai que des lieux communs qui me viennent en tête. C'est ridicule. Je suis ridicule.
J’improvise.
« J'ai l'impression que nous nous sommes déjà rencontrés, mais je ne sais plus où. Peut-être dans ma librairie ?
Elle ne se trouve pas loin d'ici. Un peu plus vers le centre-ville sur la gauche" Je ne peux pas m'empêcher de sourire.
La sensation que j'éprouve à l'instant est la plus agréable depuis que je suis arrivé ici.
J'espère ne pas connaître les maux de tête ni les bouffées de chaleur en sa présence. Cela serait si gênant.
J'ose à peine poser la question, je dois savoir. "N'as-tu pas ressenti des effets bizarres depuis l'injection?"
Je suis gêné de l'avouer, mais... "des cauchemars, des bouffées de chaleur, des migraines."
Elle acquiesce. Elle aussi.
Je ne suis pas seul. Ils nous ont vraiment fait quelque chose. Je cache mon anxiété derrière mon sourire.
Elle m'apaise. Je voudrais rester près d'elle. Peut-être ne sentirais-je plus ces effets?
L’infirmier me demande-t-elle. "Il n'a rien voulu me dire. Il ne m'a même pas regardé."
Le temps est écoulé. Les infirmiers nous ramènent dans nos chambres. Je la regarde encore par-dessus mon épaule.
Retour dans la chambre. Retour dans le cube.
Je m’appuie sur le bureau, regarde l’écran de l’ordinateur qui semble me narguer.
Que veux-tu que j’écrive ? Qu’attends-tu pour me répondre ? J'ai une irrésistible envie de taper cet écran.
Je frotte mes tempes. J’ai l’impression que mon crâne va exploser. J’ai besoin de chaleur.
Je me déshabille, entre dans la douche. Donne mes directives à l’unité qui la gère.
Chaud, pluie tropicale, multi-jets au creux de mon dos.
Je lève la tête, laisse l’eau couler sur mon visage. Ce mal de tête me vrille le cerveau.
Je n’ai pas l’habitude d’être ainsi enfermé. J’imagine les nanobots se déplaçant en moi.
Cette douche m'a fait du bien. L'eau coulant sur mon corps m'a un peu apaisé.
Je me rassieds au bureau. Regarde d’un air dépité, cette fenêtre soi-disant ouverte sur le monde.
C’est absurde. Obligé de me parler à moi-même par clavier. Et les autres ? Se confient-ils aussi ?
Une connexion qui n’en est pas une. La personne avec qui je parle vraiment à travers cet écran, c’est moi-même.
Je dois être fatigué. L’écran se brouille. Les twitts présents à l’écran se mêlent.
J’ai de nouveau chaud. Mon pouls s’accélère. Je sursaute, terrifié.
Un instant j’ai cru voir les lettres former la phrase : « Tu n’es qu’une de mes créatures. »
Je secoue la tête, frotte mes yeux. Hésitant à regarder à nouveau, redoutant une confirmation.
Rien. Twitter a repris son cours normal Mes twitts s’amoncellent devant mes yeux.
Je résume : je cauchemarde, j’ai des variations de température, je vois des choses qui ne sont peut-être pas là.
La seule chose qui soit sûre dans cette pièce est qu’il faut que je dorme.
Les autres crient. J'entends leurs voix angoissées à travers la porte. Des insectes, de la boue, du feu.
Nous perdons pied. Tous. Ils nous enlèvent notre raison. Que nous restera-t-il à part la folie?
Aujourd'hui, pour la première fois de ma vie, j'ai eu des hallucinations. J'ai vu des choses qui n'existaient pas.
J'ai l'impression de n'être qu'un rat dans un laboratoire. Ils doivent épier nos réactions, palabrer sur nos gestes.
Mais nous aider? Nous ne devons pas y compter. Jusqu'où vont-ils faire durer cette expérience?
Et cet écran qui ne s'emplit que de mes questions. Sans aucune réponse.
Je ne vois pas d'autre option que celle d'aller dormir. Je me couche sur le lit, cherche ma place et m'endors.
Jour 2
J’ai mal dormi. Vraiment très mal dormi. J’ai encore entendu cette voix. Rien qu’à y penser, ma peau frissonne.
Je déteste ces rêves dont on ne se souvient plus, mais dont on sait qu’ils sont importants.
Celui-là est extrêmement important. Quelle est la raison de ma fuite ?
J’ai l’impression d’avoir couru des kilomètres. J’ai mal partout. Mes doutes sur cette expérience sont si nombreux.
Était-elle vraiment sans risque ?
Qu’est-ce que j’imagine en twittant cette question ? Que Kane va me répondre ?
Je suis pitoyable. Encore une fois embarqué dans une histoire où je ne peux que suivre.
J’ai souvent eu l’impression de ne pas prendre mes décisions moi-même. Cette situation ne fait que le confirmer.
Le verrou de la porte se débloque. Mon corps se rappelle ses besoins primaires. Manger.
Et la voir. Les seuls instants de lumière au milieu de ces journées macabres et effrayantes. La voir. Lui parler.
Frôler sa peau, peut-être.
Ce besoin de contact, cette nécessité de l'entendre me parler. Cela doit être dû aux bots. Je ne me reconnais plus.
J'entre dans le réfectoire et je me heurte au vide. N'y a-t-il vraiment personne? Je l'aperçois. Je ne suis plus seul.
Un étau me serre la poitrine. J'ai l'impression de trembler. Je baisse les yeux vers mon plateau.
Non, je tremble vraiment. Besoin de contact. Parler à quelqu'un. Lui parler, à elle.
Je sais que mes cernes sous les yeux sont démesurées, que mon teint est pâle à cause du manque du sommeil.
Que va-t-elle penser de cette apparence? J'hésite. Il le faut. J'en ai besoin.
Gêné, ma voix est rauque de fatigue lorsque je lui demande. "Bonjour, puis-je t'accompagner ce matin?"
Je la regarde en souriant, m'assieds à ses côtés. Les premiers moments sont toujours si gênants.
Je tends la main vers le pot de confiture. En même temps qu'elle. Nos mains se touchent. Je frôle sa peau.
Ce frisson qui me traverse le corps. La première sensation vraiment agréable depuis cette nuit.
Je ne trouve pas d'autre réaction que celle d'éclater de rire. Mon rire résonne dans la salle presque vide.
Les infirmiers se retournent sur nous.
Je suis pris d'un fou rire. L'absurdité de cette situation. Ce labo, ces bots et moi qui tente de la séduire.
Son rire se mêle au mien. Que cela fait du bien!
J'arrive à me calmer, reprends difficilement mon sérieux. "Cela fait du bien, non?"
La fatigue dans ses yeux, un sourire sur son visage, ses cheveux défaits. Elle est magnifique.
Avant que les infirmiers ne nous emmènent, je pose ma main sur la sienne. "Quand tout ceci sera fini..."
J'espère ne pas me tromper sur ce qu'elle ressent.
De retour dans ce cube. Je ne supporte plus le blanc. Tout le bénéfice de cette furtive rencontre a disparu.
Twitter. Twitter. Encore. Pourquoi? Pour m'occuper l'esprit?
Pour satisfaire leur curiosité à eux, cachés derrière de l'autre côté de l'écran? Qu'est-ce qui les intéresse?
Les nanobots ou nous? J'ai peur de formuler la réponse.
« Je fais ce que je veux de toi. »
Je hurle : "Non ! Encore cette voix !" Je mets mes mains sur les oreilles, secoue la tête.
Je découvre, effaré, que je ne dors pas. Il n’y a pourtant aucun haut-parleur dans ce cube.
Est-ce que je deviens fou ? Ou étais-je déjà fou ? Y a-t-il une autre possibilité ?
J’ai mal au bras. Cela fait plusieurs minutes que cette douleur me hante.
Je relève la manche de ma chemise.
Je n’en crois pas mes yeux. L’endroit de l’injection. Plutôt les abords de cet endroit.
Des billes qui se déplacent sous ma peau. Des dizaines. Non, des centaines.
J’arrache la manche de ma chemise.
Elles remontent le long de mon bras. J’essaie de les stopper en comprimant ma peau de mon autre main.
Je les sens sous la peau de mon épaule. Que m’arrive-t-il ?
Je dois me calmer. Essaie de respirer lentement.
Je regarde mon bras. Tout a disparu.
J’ai encore eu une hallucination. Je ne sais pas si cela doit me soulager ou pas. Je me change.
Je suis l'infirmier dans les couloirs. Je le harcèle de questions. Où est Mary? Que nous avez-vous fait?
Je l'attrape par l'épaule, le force à me regarder. "Vous m'entendez? Qu'est-ce que vous nous avez fait?"
Le regard qu'il me lance est tellement menaçant. C'est une armoire à glace. Je ne suis pas de taille.
J'enlève ma main de son épaule. Je me résigne. Une fois de plus, mes questions resteront sans réponse.
J'entre dans la salle commune. Le dégoût monte en moi lorsque je vois ce que l'on nous sert.
Je ne serais pas surpris si je voyais des tentacules sortir de cette masse informe.
Kane, j'espère que tu traites mieux tes nanobots que nous. Je regarde autour de moi. Pourvu qu'elle soit là.
Dos à moi, elle ne me voit pas. Je pose mon plateau à côté du sien. "Tu tiens le coup?"
A côté d'elle, j’essaie de sourire. "Ca va. Si on veut. Même si je doute que cela dépende de notre volonté"
Elle pose les yeux sur son bras. Je vois le bandage au point d'injection. Je grimace. "Je les sens bouger en moi."
Elle a eu une hallucination, s’est mutilée. Je vois les larmes monter dans ses yeux. Sa détresse est si palpable.
J'hésite, voudrais la réconforter. Que dirait-elle? Je tourne la tête vers les infirmiers. Nous autoriseraient-ils?
Peu importe ce qu'ils peuvent dire. Peu importe leur réaction. Je passe mes bras autour d'elle, caresse ses cheveux.
"Ca va aller. Tout ceci est bientôt terminé" Elle se serre contre moi, en sanglot. Je frissonne.
J'espère qu'elle me croit. Moi-même, je ne suis pas convaincu par mes paroles. Je voudrais nous sortir d'ici.
Je ne sais pas quoi lui dire. Je ne suis pas convaincu qu'il y ait une sortie. Je la serre plus contre moi.
"Ils ne peuvent pas nous garder plus de 3 jours. Demain soir, nous serons libres."
J'enfouis ma tête dans ses cheveux, respire leur parfum. J'oublie les nanobots grouillant sous ma peau.
Je sens une présence derrière nous, relève la tête. L'armoire à glace et son collègue nous toisent. Il est déjà l'heure?
Je voudrais la garder dans mes bras. L'armoire à glace me retient, m'entraîne vers le cube. Je ne veux pas.
Pas le cube. Pas sans elle. Pas l'horreur de la solitude blanche. Je ne veux pas.
Cet infirmier a l'amabilité de la porte des Enfers! Ca le gênerait vraiment de me parler? Je suis un être humain!
Et voilà! La porte se referme. Pas une parole, pas un regard. Tu lobotomises ton personnel ou quoi, Kane ?
Je veux sortir d’ici.
J’ai encore entendu la voix. « Ne résiste pas », a-t-elle dit.
Résister? Résister à quoi? Je n'ai plus de libre arbitre, ici. Je suis enfermé, ils ne viennent même pas m'aider.
Je tourne en rond dans cette chambre. Poisson bleu dans son bocal blanc.
Je sens ma raison qui s'enfuit...
J'aperçois mon visage dans le miroir.
C’est bizarre, je ne me souviens pas m’être cogné. Pourquoi ai-je cette tache sombre sous l’œil.
J’essaie de la frotter. Elle s’élargit.
Je la vois se répandre traçant des volutes sur ma peau. Elle s’empare de ma joue de mon front.
Les courbes emplissent mon visage, descendent dans ma nuque.
Je suis pris de panique. Je me rue vers la porte.
Je dois sortir. Je frappe comme un désespéré à la porte. Mes poings s’écrasent sur le métal.
Rien ne bouge. Rien. Vous ne vous rendez donc pas compte de ce qui nous arrive ?
A tous ?
Je m’effondre, dos contre la porte. Je le sais bien. Vous ne viendrez pas. Vous nous laisserez tous ici.
Tous, victimes de votre prétention à vous prendre pour des dieux. Regardez ce que vous avez fait de nous.
Je pose la tête sur mes genoux. J'aimerais pleurer. Soulager cette pression. Je n'y arrive pas.
Je me referme sur moi-même. Je me fais peur.
Je regarde les dessins sombres sur mes mains. Je les trouve beaux. Un peu comme s'ils m'amélioraient.
Du doigt, je les suis sur mon bras. Ils sont superbes.
Qu'est-ce qui me prend? Je ne peux pas rester comme cela. Il faut qu'ils m'enlèvent cela.
J'ai dû m'assoupir. Je suis toujours le dos contre le métal de cette porte. Le temps est si long dans le cube.
Je regarde mes mains. Le dessin vibre toujours sur ma peau. Il est même plus marqué et prend un reflet brillant.
Comme le noir des plumes des corbeaux. A la fois sombre et bleuté.
Je m'abîme dans la contemplation de ces courbes.
Je ne réagis même pas lorsque je vois les nanobots s’agiter sous ma peau.
Je ne hurle pas lorsque leur métal la perce.
Je ne m’étonne pas de voir ces immenses griffes sortir du côté de mes bras, suivant une seule et unique ligne.
Inertes. J’éclate de rire. Inertes, qu’ils disaient!
La douleur s’estompe. Je me lève, vois mon image dans le miroir.
Je vois les griffes de métal le long des bras. Je passe un doigt dessus, me coupe. Effilées en plus.
Je lèche mon sang. Mon propre sang.
Le visage et le corps recouvert d’arabesques sombres.
De moi, je ne reconnais plus que mes yeux.
J’envoie mon poing contre mon reflet. Je fais éclater ce miroir de moi-même.
La douleur de la coupure. Mon sang gouttant sur le sol immaculé.
Dans un éclat du miroir, je me vois. Sans elles. Sans ces volutes. Sans ces lames.
Tiens, cet infirmier daigne me parler, maintenant. Aurait-il peur de la vue de mon sang?
Oui, j'ai cassé le miroir. Et alors? Non, je n'ai pas mal.
J'hésite à lui dire que la douleur que je ressens est insignifiante comparée à celle des lames saccageant ma peau.
Il referme la porte. Bravo! Il a prononcé 15 mots! Faudrait-il m'ouvrir les veines pour avoir une conversation?
Je regarde ma main qu'il a bandée. Je ne peux plus bouger les doigts. Il a vaguement parlé de fracture.
Pourquoi me laisse-t-il comme cela, alors? Sommes-nous si insignifiants? Le sang passe au travers du bandage.
J’entends des pas dans le couloir, des portes qui s'ouvrent. Sommes-nous libres? Définitivement ou temporairement?
La porte s'ouvre, livre le passage à l'armoire à glace. Je lui suis dans le couloir. J'ai du mal à tenir debout.
Il avance vite, trop vite. Je dois me tenir au mur. La paroi est glaciale. J'ai si chaud. Non, pas maintenant. Tenir.
Ma main me fait mal. Mon bras me fait mal. Les nanobots font leur travail. Je nous amène à la salle commune.
Dois-je dire moi et les nanos? Ou les nanos et moi? Un sourire cynique passe sur mon visage.
L’armoire à glace dépose mon plateau à une table. Une fois encore, je n'ai pas le choix.
Je regarde ce qui se trouve sur le plateau, ne reconnais rien. Est-ce réellement ainsi ou est-ce ainsi que je le vois?
Je cache ma main sous la table. Inutile que les autres patients voient cela.
Dos à l'entrée, je fixe le mur devant moi. Blanc. Lorsque je sortirai d'ici, je bannirai cette non-couleur de ma vie.
Sa voix me tire de ma rêverie. Je parviens à peine à sourire lorsque je lui réponds que ça va. Oui, ça va.
Je dois me reprendre. Elle n'est pas la cause de mon état. Enfin, pas l'unique cause.
Je suis gêné de ce qui s'est passé tout à l'heure. Peut-être pense-t-elle que j'ai profité de sa faiblesse.
"Nous avons passé la moitié du test. Nous serons bientôt dehors" Je me retiens d'ajouter : si nous survivons.
Je vois son regard insistant sur mon bandage. "J'ai eu un problème avec le miroir. Rien de vraiment grave."
Je me tourne vers elle, plonge mon regard dans le sien. "Il nous arrive beaucoup de choses de ces temps-ci".
J'hésite. Et puis, non. Non, je ne veux pas. Si cela doit finir, je veux encore une fois l'avoir contre moi.
Craignant qu'elle ne me repousse, je passe mon bras autour de son épaule, l'attire à moi.
Son parfum m'enivre, je passe ma main sur sa joue. Mes lèvres frôlent sa peau. "Nous sortirons d'ici".
Je pose ma joue contre la sienne, m'emplit de sa chaleur. Encore un peu. Laissez-nous ensemble encore un peu.
J'entends les infirmiers qui remuent derrière nous. A regret, je l'écarte de moi. Lui souris, embrasse son front.
Ils me forcent à me lever. Ma main retient la sienne autant que je le peux.
Je me penche vers elle, dépose un baiser au coin de ses lèvres. Ils me tirent en arrière. Laissez-moi. Laissez-la moi.
Encore les couloirs, sa présence qui disparaît. Entre les 2 montagnes qui m'accompagnent, je me remémore son parfum.
Le retour dans le cube est abrupt. Tiens, ils ont remplacé le miroir. Je m'étonne qu'ils m'en aient laissé un.
Je ne veux pas m'asseoir devant cet ordinateur. Il ne me reste que peu d'options.
Je jette mes vêtements sur le sol. Je suis épuisé. La fraîcheur du drap froid sur mon corps me fait du bien.
J'entends un souffle. Une respiration qui n'est pas la mienne. Je pose ma main sur le mur, cherchant sa fraîcheur.
J'ai chaud. Mes mains sont moites. J'ai la gorge sèche. J'ai peur que cela recommence.
Et cette respiration qui enfle dans ce cube!
Sous ma main, la texture du mur se modifie Le froid du matériau laisse la place à la chaleur satinée d'une peau.
Je sens la sueur le long de mon dos. La paroi (la peau?) du mur bouge. Enfle, reprend sa place.
Le cube respire! Et je suis à l'intérieur!
J'ai la tête qui tourne, les membres qui tremblent. Des points lumineux apparaissent devant mes yeux.
Ne pas perdre conscience. Ne pas...
Jour 3
J'ai l'impression de ne plus pouvoir respirer. D'être entraîné malgré moi dans un monde hostile.
Je me lève. La chambre semble pourtant identique. Je regarde mon visage dans le miroir.
Les volutes sombres sont bien présentes sur ma peau. Elles reflètent doucement la lumière de la pièce.
Je lève la main, touche mon visage, le griffe. Mon sang coule le long de mes joues.
Les marques sont toujours là. Dans le miroir, je vois les lames qui ont repris leur place sur mon corps.
Et si c’était cela la réalité ? Ma réalité ?
« Que penses-tu de ta nouvelle apparence ? »
Je crispe mes poings. Je hurle à travers la pièce :
« Montre-toi ! C’est facile de rester caché et de ne pas m’affronter. As-tu peur à ce point ? »
« C’est toi qui devrais avoir peur.
Un coin de ma chambre s’assombrit. L’ordinateur est englouti par l’ombre.
Elle rampe vers moi. Elle dévore tout sur son passage. Elle transforme l'Être en Néant.
Elle est si proche. Je pose ma main sur le mur-peau.
Il se déchire comme du papier.
Et je la vois. La ville sous mes pieds. Le vent souffle sur mon visage. Les gens sont si petits.
Ils ne se doutent pas de ce qui se passe ici. Je dois les prévenir. Ils doivent arrêter la Kane-machine.
Je tourne la tête. De ma chambre, il ne reste plus que le lit. L’obscurité a remplacé les murs blancs.
Je saute dans le vide, prends la seule porte de sortie qu’il me reste.
Je cours dans les rues, il n’y a plus personne. Cette ville est un désert.
Je ne sais pas comment je suis arrivé là, comment je ne me suis pas fracassé les os en tombant.
Les vitrines me renvoient ma nouvelle image. Peut-être ont-ils peur de moi ?
« Il n’y a aucune sortie » La voix résonne et tourbillonne autour de moi. Je veux qu'elle cesse.
Je cours encore plus vite. Trouver quelqu’un. Le sauver. Me sauver.
L’ombre est sur mes pas. Je ne dois pas me retourner. Je le sais. Je sens sa froide noirceur sur mes talons.
Je me heurte à un mur blanc. Semblable à celui de ma chambre. Le déchiqueter avec mes lames est un jeu d’enfant.
J'entre dans une nouvelle case.
Un parc. Une fontaine et personne. Les jeux où s’ébattent d’ordinaire les enfants sont vides de leurs rires.
Je lève la tête, j’apostrophe les cieux : « Qu’as-tu fait d’eux ? T’amuser avec moi ne te suffisait-il pas ? »
« Oh, si. Tu me suffis, tu me suffis même amplement, Albafica. »
"Je n'ai même plus besoin d'eux."
L’ombre avale la fontaine, se repaît de l’eau. Sa faim est-elle donc sans limite ? Je reprends ma course effrénée.
Les mètres défilent sous mes foulées et j’essaie de me rappeler l’origine, la génèse de ma fuite.
Comment suis-je arrivé là ? Je me souviens de mon entrée dans le labo, il y a 2 jours. L'Enfer a un nom : Kane HX.
Mary qui me montre ma chambre. Et moi qui me félicite de ce calme. Pauvre fou que j'étais !
La seringue au liquide glauque et visqueux perçant ma peau, la substance sombre et maudite se répandant sous elle.
Le début. L'origine du cauchemar. La fissure qui déchire ma vie passée. Kane HX, la machine qui nous détruit. Tous.
Et puis cet éclair de lumière. Elle.
Son visage, son parfum, ses cheveux. Sa blessure. Sa détresse. Sa détresse.
Son contact, sa vie dans mes bras. Mes mains frôlant sa peau. Ses lèvres à portée des miennes.
Elle. Moi. Nous. L’espace d’un instant, si proches.
Je m’arrête et je ris comme un possédé : « Cet instant que je t’ai volé ! Ce moment qui était nôtre. »
La voix reste muette, cette fois. Mon rire s’estompe. Il a raison de se taire. Notre victoire sur lui était si mince.
Les nanobots s’agitent en moi. Ils ne veulent pas que j’y pense. Ils veulent que je leur appartienne. Ils me font mal.
Leur inertie n'était que feinte. Ne croyez jamais Kane HX.
Encore une fois, je me heurte au bord de ce monde. A ce mur-peau, infranchissable. Sans ciel au-dessus. Infini.
Ce mur qui respire tandis que je suffoque, ce mur qui vit alors que ma volonté meurt.
Et cette voix qui ricane autour de moi : « La fuite est inutile, pauvre petite création. »
La tête me tourne. Les mains autour du cou, je cherche l'air. Encore. Encore respirer. Je m'effondre, inconscient.
Je sombre dans le vide. Je sens des mains sur moi ! Instinctivement, j’enlève mon bras. Non, ne me touchez pas !
Je ne veux pas vous blesser. J’imagine les lames déchirant leur peau, répandant leur sang sur le sol.
Les mains ne me lâchent pas. Je sens la pointe d’une aiguille qui s’infiltre sous ma peau.
Que me faites-vous ? Le produit se répand dans mes veines. Je sombre encore.
Ne me supprimez pas.
Je me réveille dans une pièce que je ne connais pas.
Passe la main sur mon visage. Je vis ! Je vis !
Les dessins sur ma peau. Ils sont toujours là. Les lames aussi. Je m’étonne de les accepter comme étant moi.
Je me relève du lit. Le bleu de la pièce me plait. Plus de blanc. C’est terminé.
Mes pieds nus ne font aucun bruit sur le sol. Le miroir en pied me renvoie cette image désormais familière.
Moi. Mes volutes. Mes lames. Je souris à ce nouveau reflet.
Toute cette frayeur, cette fuite... Cette voix, cette solitude. Cela devait être des effets secondaires.
Le temps que mon corps intègre les nanobots. Le temps nécessaire pour qu'ils me modifient.
Je fouille dans l’armoire, trouve ce qui semble être une combinaison taillée pour moi.
Plutôt moulante, d’ailleurs. Mais elle a au moins le mérite de laisser passer mes lames.
Je pose ma main sur la poignée de la porte, craignant qu'elle ne s'ouvre pas.
Elle ne résiste pas. La lumière de la verrière m’éblouit. Elle s’ouvre sur un jardin ! C’est un jardin !
Je suis le couloir vitré. Au fond, une pièce avec un écran allumé. Sur la chaîne d’infos en continu.
Fasciné, je regarde ce qui s’est passé dans le monde durant ces 3 jours.
J’entends un bruit derrière moi, ressens une présence, hume un parfum. Son parfum.
Je me retourne. La découvre. Modifiée. Mais c’est elle. Tout ce métal sur elle. Elle est si belle. Je lui souris.
La voix du présentateur résonne dans la pièce : ... l’explosion du laboratoire de la Kane HX…
Je lui souris. La fin n'est que le commencement.
J’arrive au labo de la Kane HX. La structure imposante du bâtiment se détache sur l'azur du ciel.
Il tend vers le ciel sa tour immense comme un message de défi aux dieux.
Ma motivation? Besoin de calme. Ce séjour est l’occasion d’oublier un moment ma librairie. Et mes clients.
J'ai donné avec bonheur les clefs de ma librairie à mon apprenti. Qu'il se débrouille avec leurs exigences!
Je soupire. J’aime mon travail. Mais ces heures loin des bandes dessinées me semblent un oasis bien agréable.
Pas de couverture, pas de personnage, pas de case. Aucun dialogue inquiétant. Pas de méchant omnipotent.
Et surtout personne pour demander pour la énième fois si j’ai reçu ce volume sur le Gobelin! 3 jours de tranquillité !
Perdu dans mes pensées, je n'ai pas remarqué être déjà entré dans le bâtiment. L'infirmière m'accueille.
Elle est jeune. Plutôt agréable à regarder. Je lui souris. Son regard est à la fois doux et confiant.
Je ne ressens aucune crainte. Je la suis dans les couloirs aseptisés. Nos pas réveillent l'écho des murs immaculés.
Le sas d’entrée s’est refermé derrière moi. Le bruit de la fermeture automatique m’a fait sursauter. Pas de sortie.
Les portes défilent une à une. Massives à l’ouverture gérée par ordinateur. Frissons. C'est un labo ou une prison?
Je sais que ces chambres abritent d’autres sujets tels que moi. Ensemble et pourtant séparés.
La chambre ne souffre aucune fioriture. Un lit, un lit bureau avec un ordinateur, douche, évier et commodités.
On va m’injecter des nanobots inertes dans le corps. Une expérience comme une autre.
Oui, j’ai bien compris ce qui va se passer. Non, je ne suis pas nerveux à cette idée.
L'infirmière sort une seringue de sa mallette. M’invite à m’asseoir sur le lit.
Le matelas n’est pas terrible. Heureusement que l’infirmière est jolie.
Le liquide visqueux remue doucement dans la seringue. Je retiens un frisson de dégoût.
L’injection n’est pas douloureuse. Seules la consistance et la couleur du produit sont étranges.
Noir comme l’ébène, le liquide se répand sous ma peau. J'imagine les nanobots partant à l'assaut de mon corps.
Mais ils ont dit qu'ils étaient inertes. Il ne devrait donc y avoir aucun problème.
Je passe et repasse mes doigts à l’endroit de l’injection. Je sais qu’ils sont en moi. Je ne les sens pas.
Satisfaite de son travail, l’infirmière s’en va. La porte claque, son parfum s'efface. Ca y est. Ils voyagent en moi.
C'est l'heure du repas. J'hésite à les rejoindre.
Je m'installe à une table. La nourriture est insipide.
J'étais si content de trouver une tarte à la mangue sur mon plateau. J'hésite à la manger, vu le goût du reste.
Les autres se parlent. Je n'ai pas envie d'être dérangé. Pas par eux.
Je souris en regardant mon assiette. Cette nourriture doit être infestée de nanobots pour avoir cette apparence.
Enfin, je ne suis plus à un nanobot près! Sous mon palais, la viande a le goût de carton.
Elle me demande si elle peut s’asseoir. Je relève les yeux. Devant moi, plateau entre les mains, elle me regarde d'un air gêné. "Je t'en prie."
Elle s'assied à côté de moi. Ne dit rien. J'apprécie cette compagnie.
Je la regarde du coin de l'oeil. J'ai l'impression que je la connais. Je voudrais lui parler.
Je voudrais trouver quoi lui dire.
Je me lance : « Un morceau de cette magnifique tarte au goût technologique? »
Ne pas l'effaroucher. Surtout, ne pas la brusquer.
Elle s’inquiète de la composition de la tarte, je réponds : « Du plastique, des bots. Peu importe. L'important c'est de la partager. »
Je lui donne la moitié de mon dessert. Acceptera-t-elle le cadeau?
Le contact de ses doigts avec les miens lorsqu'elle prend sa part est délicieux. Je souris encore.
Les infirmiers nous tournent autour. C'est déjà l'heure de rentrer dans notre chambre.
J'espère que je la reverrai.
Je m'installe devant l’ordinateur, passe mes doigts sur la table blanche. Si lisse. Comme tout ce qui m'entoure.
« Vous pouvez envoyer nous envoyer vos impressions par ce canal. », a-t-elle dit avant de refermer la porte.
Génial. M’épancher sur un ordinateur. Un sourire ironique passe sur mon visage.
Aucun bruit alentour. Même la climatisation est discrète. Uniquement mes doigts sur le clavier. Ce calme.
Il fait chaud. Je me lève, fais le tour de la chambre. Pas moyen d’adapter la température. Je m’installe sur le lit.
J'ai l'impression que la sueur couvre mon front. Je sens les gouttes couler le long de mes tempes. Chaud. Trop chaud.
Je n’aime pas être enfermé. Plus je pense à ce lieu clos, plus j’ai chaud.
J'avais imaginé qu'un jardin serait à notre disposition. Que nous pourrions prendre l'air.
Pas d'autre air que celui diffusé par cette minuscule ouverture dans la chambre.
Je sais que l'air qui en sort est frais. Pourquoi ai-je donc si chaud?
J’essaie de respirer calmement, fixant le plafond immaculé. Ne penser à rien. Se laisser emporter par la blancheur.
Le blanc. Rien d'autre que le blanc. Ma respiration. Calme-toi, Albafica.
Je m’apaise. Mon coeur ne s'affole plus. La sensation de chaleur disparaît. Qu'est-ce que c'était?
Je me sens mieux. Je suis le train du sommeil d’aiguillage en aiguillage jusqu’au fond de mes rêves.
Mon sommeil est agité. Mes muscles se tendent. Mes mains se crispent sur les draps blancs.
Je m'agite de plus en plus. Mes mouvements sont désordonnés. Cela fait longtemps que le drap est à terre.
J'ai l'impression d'être prisonnier de mon rêve. Où est la sortie?
Ma voix déchire le silence de la chambre. Je me réveille en sursaut, haletant.
Passe la main sur mon front en sueur. Les murs, le lit, l'écran bleuté de l'ordinateur. Je retrouve mes repères.
Ma respiration saccadée emplit toute ma chambre.
Je rêvais. Je cauchemardais. Mais qu'ai-je donc vécu dans ce cauchemar?
Je ne me souviens que de cette sensation. La fuite. La nécessité de me sauver.
Et de cette voix qui résonnait dans ma tête : "Tu n’existes pas."
Je regarde encore une fois l’endroit de l’injection. Aucune rougeur. Aucun gonflement.
Rien.
Ils ont dit que les nanobots étaient inertes.
Je doute de plus en plus.
L'infirmier entre dans la chambre. Je regrette le sourire et les courbes de Mary.
Moi, si calme d'ordinaire, j'ai envie de le secouer. De lui soutirer les réponses à mes questions.
J'essaie de lui parler. Il ne répond pas. Ma température ne m'intéresse pas. Regarde-moi quand je te parle!
Ne pas s'énerver. Il ne fait que son travail. Il a sûrement reçu comme consigne de ne pas interagir avec nous.
La porte se referme. Je n'ai pas une seule information de plus. Merci, Kane HX! Le séjour chez vous est inoubliable!
J'ai faim. Curieusement, cette sensation surpasse toutes les autres. Est-ce l'heure?
Je m'aperçois que je souris bêtement en repensant à la rencontre furtive de ce midi.
Sera-t-elle toujours là? Oserais-je encore la cotoyer?
J'ai entendu le verrou s'ouvrir. Est-ce l'heure du repas? Je vais enfin sortir de ce cube blanc.
Dans le couloir, j'entends d'autres patients qui s'agitent, cognent sur les portes de leur chambre.
Je manque d'éclater de rire devant le plateau qu'ils nous servent. Ils devraient revoir la définition de la nourriture.
Je suis le premier dans la salle. Je m'assieds et j'attends. Pourquoi mon coeur se serre-t-il dans ma poitrine?
Les patients arrivent peu à peu dans la salle commune. Je reconnais mon regard dans le leur. Que nous ont-ils faits?
Je me concentre sur mon plateau. Les voir ne me renvoie que ma propre image. Déboussolés, égarés.
Ensemble, mais seuls.
Je m'arrache à la contemplation désabusée de mon assiette. Je la vois. Pourquoi ne me rejoint-elle pas?
Elle me voit, s’approche.
Elle me demande si elle peut s’asseoir à mes côtés. "Bien sûr." Je souris, essaie de garder mon calme. Ne pas montrer que sa présence en ce lieu me rassure.
Lorsqu'elle s'assied à côté de moi, je sens son parfum. J'oublie le lieu, le pourquoi de notre présence ici.
Je voudrais encore lui parler, entendre le son de sa voix.
Je n'ai que des lieux communs qui me viennent en tête. C'est ridicule. Je suis ridicule.
J’improvise.
« J'ai l'impression que nous nous sommes déjà rencontrés, mais je ne sais plus où. Peut-être dans ma librairie ?
Elle ne se trouve pas loin d'ici. Un peu plus vers le centre-ville sur la gauche" Je ne peux pas m'empêcher de sourire.
La sensation que j'éprouve à l'instant est la plus agréable depuis que je suis arrivé ici.
J'espère ne pas connaître les maux de tête ni les bouffées de chaleur en sa présence. Cela serait si gênant.
J'ose à peine poser la question, je dois savoir. "N'as-tu pas ressenti des effets bizarres depuis l'injection?"
Je suis gêné de l'avouer, mais... "des cauchemars, des bouffées de chaleur, des migraines."
Elle acquiesce. Elle aussi.
Je ne suis pas seul. Ils nous ont vraiment fait quelque chose. Je cache mon anxiété derrière mon sourire.
Elle m'apaise. Je voudrais rester près d'elle. Peut-être ne sentirais-je plus ces effets?
L’infirmier me demande-t-elle. "Il n'a rien voulu me dire. Il ne m'a même pas regardé."
Le temps est écoulé. Les infirmiers nous ramènent dans nos chambres. Je la regarde encore par-dessus mon épaule.
Retour dans la chambre. Retour dans le cube.
Je m’appuie sur le bureau, regarde l’écran de l’ordinateur qui semble me narguer.
Que veux-tu que j’écrive ? Qu’attends-tu pour me répondre ? J'ai une irrésistible envie de taper cet écran.
Je frotte mes tempes. J’ai l’impression que mon crâne va exploser. J’ai besoin de chaleur.
Je me déshabille, entre dans la douche. Donne mes directives à l’unité qui la gère.
Chaud, pluie tropicale, multi-jets au creux de mon dos.
Je lève la tête, laisse l’eau couler sur mon visage. Ce mal de tête me vrille le cerveau.
Je n’ai pas l’habitude d’être ainsi enfermé. J’imagine les nanobots se déplaçant en moi.
Cette douche m'a fait du bien. L'eau coulant sur mon corps m'a un peu apaisé.
Je me rassieds au bureau. Regarde d’un air dépité, cette fenêtre soi-disant ouverte sur le monde.
C’est absurde. Obligé de me parler à moi-même par clavier. Et les autres ? Se confient-ils aussi ?
Une connexion qui n’en est pas une. La personne avec qui je parle vraiment à travers cet écran, c’est moi-même.
Je dois être fatigué. L’écran se brouille. Les twitts présents à l’écran se mêlent.
J’ai de nouveau chaud. Mon pouls s’accélère. Je sursaute, terrifié.
Un instant j’ai cru voir les lettres former la phrase : « Tu n’es qu’une de mes créatures. »
Je secoue la tête, frotte mes yeux. Hésitant à regarder à nouveau, redoutant une confirmation.
Rien. Twitter a repris son cours normal Mes twitts s’amoncellent devant mes yeux.
Je résume : je cauchemarde, j’ai des variations de température, je vois des choses qui ne sont peut-être pas là.
La seule chose qui soit sûre dans cette pièce est qu’il faut que je dorme.
Les autres crient. J'entends leurs voix angoissées à travers la porte. Des insectes, de la boue, du feu.
Nous perdons pied. Tous. Ils nous enlèvent notre raison. Que nous restera-t-il à part la folie?
Aujourd'hui, pour la première fois de ma vie, j'ai eu des hallucinations. J'ai vu des choses qui n'existaient pas.
J'ai l'impression de n'être qu'un rat dans un laboratoire. Ils doivent épier nos réactions, palabrer sur nos gestes.
Mais nous aider? Nous ne devons pas y compter. Jusqu'où vont-ils faire durer cette expérience?
Et cet écran qui ne s'emplit que de mes questions. Sans aucune réponse.
Je ne vois pas d'autre option que celle d'aller dormir. Je me couche sur le lit, cherche ma place et m'endors.
Jour 2
J’ai mal dormi. Vraiment très mal dormi. J’ai encore entendu cette voix. Rien qu’à y penser, ma peau frissonne.
Je déteste ces rêves dont on ne se souvient plus, mais dont on sait qu’ils sont importants.
Celui-là est extrêmement important. Quelle est la raison de ma fuite ?
J’ai l’impression d’avoir couru des kilomètres. J’ai mal partout. Mes doutes sur cette expérience sont si nombreux.
Était-elle vraiment sans risque ?
Qu’est-ce que j’imagine en twittant cette question ? Que Kane va me répondre ?
Je suis pitoyable. Encore une fois embarqué dans une histoire où je ne peux que suivre.
J’ai souvent eu l’impression de ne pas prendre mes décisions moi-même. Cette situation ne fait que le confirmer.
Le verrou de la porte se débloque. Mon corps se rappelle ses besoins primaires. Manger.
Et la voir. Les seuls instants de lumière au milieu de ces journées macabres et effrayantes. La voir. Lui parler.
Frôler sa peau, peut-être.
Ce besoin de contact, cette nécessité de l'entendre me parler. Cela doit être dû aux bots. Je ne me reconnais plus.
J'entre dans le réfectoire et je me heurte au vide. N'y a-t-il vraiment personne? Je l'aperçois. Je ne suis plus seul.
Un étau me serre la poitrine. J'ai l'impression de trembler. Je baisse les yeux vers mon plateau.
Non, je tremble vraiment. Besoin de contact. Parler à quelqu'un. Lui parler, à elle.
Je sais que mes cernes sous les yeux sont démesurées, que mon teint est pâle à cause du manque du sommeil.
Que va-t-elle penser de cette apparence? J'hésite. Il le faut. J'en ai besoin.
Gêné, ma voix est rauque de fatigue lorsque je lui demande. "Bonjour, puis-je t'accompagner ce matin?"
Je la regarde en souriant, m'assieds à ses côtés. Les premiers moments sont toujours si gênants.
Je tends la main vers le pot de confiture. En même temps qu'elle. Nos mains se touchent. Je frôle sa peau.
Ce frisson qui me traverse le corps. La première sensation vraiment agréable depuis cette nuit.
Je ne trouve pas d'autre réaction que celle d'éclater de rire. Mon rire résonne dans la salle presque vide.
Les infirmiers se retournent sur nous.
Je suis pris d'un fou rire. L'absurdité de cette situation. Ce labo, ces bots et moi qui tente de la séduire.
Son rire se mêle au mien. Que cela fait du bien!
J'arrive à me calmer, reprends difficilement mon sérieux. "Cela fait du bien, non?"
La fatigue dans ses yeux, un sourire sur son visage, ses cheveux défaits. Elle est magnifique.
Avant que les infirmiers ne nous emmènent, je pose ma main sur la sienne. "Quand tout ceci sera fini..."
J'espère ne pas me tromper sur ce qu'elle ressent.
De retour dans ce cube. Je ne supporte plus le blanc. Tout le bénéfice de cette furtive rencontre a disparu.
Twitter. Twitter. Encore. Pourquoi? Pour m'occuper l'esprit?
Pour satisfaire leur curiosité à eux, cachés derrière de l'autre côté de l'écran? Qu'est-ce qui les intéresse?
Les nanobots ou nous? J'ai peur de formuler la réponse.
« Je fais ce que je veux de toi. »
Je hurle : "Non ! Encore cette voix !" Je mets mes mains sur les oreilles, secoue la tête.
Je découvre, effaré, que je ne dors pas. Il n’y a pourtant aucun haut-parleur dans ce cube.
Est-ce que je deviens fou ? Ou étais-je déjà fou ? Y a-t-il une autre possibilité ?
J’ai mal au bras. Cela fait plusieurs minutes que cette douleur me hante.
Je relève la manche de ma chemise.
Je n’en crois pas mes yeux. L’endroit de l’injection. Plutôt les abords de cet endroit.
Des billes qui se déplacent sous ma peau. Des dizaines. Non, des centaines.
J’arrache la manche de ma chemise.
Elles remontent le long de mon bras. J’essaie de les stopper en comprimant ma peau de mon autre main.
Je les sens sous la peau de mon épaule. Que m’arrive-t-il ?
Je dois me calmer. Essaie de respirer lentement.
Je regarde mon bras. Tout a disparu.
J’ai encore eu une hallucination. Je ne sais pas si cela doit me soulager ou pas. Je me change.
Je suis l'infirmier dans les couloirs. Je le harcèle de questions. Où est Mary? Que nous avez-vous fait?
Je l'attrape par l'épaule, le force à me regarder. "Vous m'entendez? Qu'est-ce que vous nous avez fait?"
Le regard qu'il me lance est tellement menaçant. C'est une armoire à glace. Je ne suis pas de taille.
J'enlève ma main de son épaule. Je me résigne. Une fois de plus, mes questions resteront sans réponse.
J'entre dans la salle commune. Le dégoût monte en moi lorsque je vois ce que l'on nous sert.
Je ne serais pas surpris si je voyais des tentacules sortir de cette masse informe.
Kane, j'espère que tu traites mieux tes nanobots que nous. Je regarde autour de moi. Pourvu qu'elle soit là.
Dos à moi, elle ne me voit pas. Je pose mon plateau à côté du sien. "Tu tiens le coup?"
A côté d'elle, j’essaie de sourire. "Ca va. Si on veut. Même si je doute que cela dépende de notre volonté"
Elle pose les yeux sur son bras. Je vois le bandage au point d'injection. Je grimace. "Je les sens bouger en moi."
Elle a eu une hallucination, s’est mutilée. Je vois les larmes monter dans ses yeux. Sa détresse est si palpable.
J'hésite, voudrais la réconforter. Que dirait-elle? Je tourne la tête vers les infirmiers. Nous autoriseraient-ils?
Peu importe ce qu'ils peuvent dire. Peu importe leur réaction. Je passe mes bras autour d'elle, caresse ses cheveux.
"Ca va aller. Tout ceci est bientôt terminé" Elle se serre contre moi, en sanglot. Je frissonne.
J'espère qu'elle me croit. Moi-même, je ne suis pas convaincu par mes paroles. Je voudrais nous sortir d'ici.
Je ne sais pas quoi lui dire. Je ne suis pas convaincu qu'il y ait une sortie. Je la serre plus contre moi.
"Ils ne peuvent pas nous garder plus de 3 jours. Demain soir, nous serons libres."
J'enfouis ma tête dans ses cheveux, respire leur parfum. J'oublie les nanobots grouillant sous ma peau.
Je sens une présence derrière nous, relève la tête. L'armoire à glace et son collègue nous toisent. Il est déjà l'heure?
Je voudrais la garder dans mes bras. L'armoire à glace me retient, m'entraîne vers le cube. Je ne veux pas.
Pas le cube. Pas sans elle. Pas l'horreur de la solitude blanche. Je ne veux pas.
Cet infirmier a l'amabilité de la porte des Enfers! Ca le gênerait vraiment de me parler? Je suis un être humain!
Et voilà! La porte se referme. Pas une parole, pas un regard. Tu lobotomises ton personnel ou quoi, Kane ?
Je veux sortir d’ici.
J’ai encore entendu la voix. « Ne résiste pas », a-t-elle dit.
Résister? Résister à quoi? Je n'ai plus de libre arbitre, ici. Je suis enfermé, ils ne viennent même pas m'aider.
Je tourne en rond dans cette chambre. Poisson bleu dans son bocal blanc.
Je sens ma raison qui s'enfuit...
J'aperçois mon visage dans le miroir.
C’est bizarre, je ne me souviens pas m’être cogné. Pourquoi ai-je cette tache sombre sous l’œil.
J’essaie de la frotter. Elle s’élargit.
Je la vois se répandre traçant des volutes sur ma peau. Elle s’empare de ma joue de mon front.
Les courbes emplissent mon visage, descendent dans ma nuque.
Je suis pris de panique. Je me rue vers la porte.
Je dois sortir. Je frappe comme un désespéré à la porte. Mes poings s’écrasent sur le métal.
Rien ne bouge. Rien. Vous ne vous rendez donc pas compte de ce qui nous arrive ?
A tous ?
Je m’effondre, dos contre la porte. Je le sais bien. Vous ne viendrez pas. Vous nous laisserez tous ici.
Tous, victimes de votre prétention à vous prendre pour des dieux. Regardez ce que vous avez fait de nous.
Je pose la tête sur mes genoux. J'aimerais pleurer. Soulager cette pression. Je n'y arrive pas.
Je me referme sur moi-même. Je me fais peur.
Je regarde les dessins sombres sur mes mains. Je les trouve beaux. Un peu comme s'ils m'amélioraient.
Du doigt, je les suis sur mon bras. Ils sont superbes.
Qu'est-ce qui me prend? Je ne peux pas rester comme cela. Il faut qu'ils m'enlèvent cela.
J'ai dû m'assoupir. Je suis toujours le dos contre le métal de cette porte. Le temps est si long dans le cube.
Je regarde mes mains. Le dessin vibre toujours sur ma peau. Il est même plus marqué et prend un reflet brillant.
Comme le noir des plumes des corbeaux. A la fois sombre et bleuté.
Je m'abîme dans la contemplation de ces courbes.
Je ne réagis même pas lorsque je vois les nanobots s’agiter sous ma peau.
Je ne hurle pas lorsque leur métal la perce.
Je ne m’étonne pas de voir ces immenses griffes sortir du côté de mes bras, suivant une seule et unique ligne.
Inertes. J’éclate de rire. Inertes, qu’ils disaient!
La douleur s’estompe. Je me lève, vois mon image dans le miroir.
Je vois les griffes de métal le long des bras. Je passe un doigt dessus, me coupe. Effilées en plus.
Je lèche mon sang. Mon propre sang.
Le visage et le corps recouvert d’arabesques sombres.
De moi, je ne reconnais plus que mes yeux.
J’envoie mon poing contre mon reflet. Je fais éclater ce miroir de moi-même.
La douleur de la coupure. Mon sang gouttant sur le sol immaculé.
Dans un éclat du miroir, je me vois. Sans elles. Sans ces volutes. Sans ces lames.
Tiens, cet infirmier daigne me parler, maintenant. Aurait-il peur de la vue de mon sang?
Oui, j'ai cassé le miroir. Et alors? Non, je n'ai pas mal.
J'hésite à lui dire que la douleur que je ressens est insignifiante comparée à celle des lames saccageant ma peau.
Il referme la porte. Bravo! Il a prononcé 15 mots! Faudrait-il m'ouvrir les veines pour avoir une conversation?
Je regarde ma main qu'il a bandée. Je ne peux plus bouger les doigts. Il a vaguement parlé de fracture.
Pourquoi me laisse-t-il comme cela, alors? Sommes-nous si insignifiants? Le sang passe au travers du bandage.
J’entends des pas dans le couloir, des portes qui s'ouvrent. Sommes-nous libres? Définitivement ou temporairement?
La porte s'ouvre, livre le passage à l'armoire à glace. Je lui suis dans le couloir. J'ai du mal à tenir debout.
Il avance vite, trop vite. Je dois me tenir au mur. La paroi est glaciale. J'ai si chaud. Non, pas maintenant. Tenir.
Ma main me fait mal. Mon bras me fait mal. Les nanobots font leur travail. Je nous amène à la salle commune.
Dois-je dire moi et les nanos? Ou les nanos et moi? Un sourire cynique passe sur mon visage.
L’armoire à glace dépose mon plateau à une table. Une fois encore, je n'ai pas le choix.
Je regarde ce qui se trouve sur le plateau, ne reconnais rien. Est-ce réellement ainsi ou est-ce ainsi que je le vois?
Je cache ma main sous la table. Inutile que les autres patients voient cela.
Dos à l'entrée, je fixe le mur devant moi. Blanc. Lorsque je sortirai d'ici, je bannirai cette non-couleur de ma vie.
Sa voix me tire de ma rêverie. Je parviens à peine à sourire lorsque je lui réponds que ça va. Oui, ça va.
Je dois me reprendre. Elle n'est pas la cause de mon état. Enfin, pas l'unique cause.
Je suis gêné de ce qui s'est passé tout à l'heure. Peut-être pense-t-elle que j'ai profité de sa faiblesse.
"Nous avons passé la moitié du test. Nous serons bientôt dehors" Je me retiens d'ajouter : si nous survivons.
Je vois son regard insistant sur mon bandage. "J'ai eu un problème avec le miroir. Rien de vraiment grave."
Je me tourne vers elle, plonge mon regard dans le sien. "Il nous arrive beaucoup de choses de ces temps-ci".
J'hésite. Et puis, non. Non, je ne veux pas. Si cela doit finir, je veux encore une fois l'avoir contre moi.
Craignant qu'elle ne me repousse, je passe mon bras autour de son épaule, l'attire à moi.
Son parfum m'enivre, je passe ma main sur sa joue. Mes lèvres frôlent sa peau. "Nous sortirons d'ici".
Je pose ma joue contre la sienne, m'emplit de sa chaleur. Encore un peu. Laissez-nous ensemble encore un peu.
J'entends les infirmiers qui remuent derrière nous. A regret, je l'écarte de moi. Lui souris, embrasse son front.
Ils me forcent à me lever. Ma main retient la sienne autant que je le peux.
Je me penche vers elle, dépose un baiser au coin de ses lèvres. Ils me tirent en arrière. Laissez-moi. Laissez-la moi.
Encore les couloirs, sa présence qui disparaît. Entre les 2 montagnes qui m'accompagnent, je me remémore son parfum.
Le retour dans le cube est abrupt. Tiens, ils ont remplacé le miroir. Je m'étonne qu'ils m'en aient laissé un.
Je ne veux pas m'asseoir devant cet ordinateur. Il ne me reste que peu d'options.
Je jette mes vêtements sur le sol. Je suis épuisé. La fraîcheur du drap froid sur mon corps me fait du bien.
J'entends un souffle. Une respiration qui n'est pas la mienne. Je pose ma main sur le mur, cherchant sa fraîcheur.
J'ai chaud. Mes mains sont moites. J'ai la gorge sèche. J'ai peur que cela recommence.
Et cette respiration qui enfle dans ce cube!
Sous ma main, la texture du mur se modifie Le froid du matériau laisse la place à la chaleur satinée d'une peau.
Je sens la sueur le long de mon dos. La paroi (la peau?) du mur bouge. Enfle, reprend sa place.
Le cube respire! Et je suis à l'intérieur!
J'ai la tête qui tourne, les membres qui tremblent. Des points lumineux apparaissent devant mes yeux.
Ne pas perdre conscience. Ne pas...
Jour 3
J'ai l'impression de ne plus pouvoir respirer. D'être entraîné malgré moi dans un monde hostile.
Je me lève. La chambre semble pourtant identique. Je regarde mon visage dans le miroir.
Les volutes sombres sont bien présentes sur ma peau. Elles reflètent doucement la lumière de la pièce.
Je lève la main, touche mon visage, le griffe. Mon sang coule le long de mes joues.
Les marques sont toujours là. Dans le miroir, je vois les lames qui ont repris leur place sur mon corps.
Et si c’était cela la réalité ? Ma réalité ?
« Que penses-tu de ta nouvelle apparence ? »
Je crispe mes poings. Je hurle à travers la pièce :
« Montre-toi ! C’est facile de rester caché et de ne pas m’affronter. As-tu peur à ce point ? »
« C’est toi qui devrais avoir peur.
Un coin de ma chambre s’assombrit. L’ordinateur est englouti par l’ombre.
Elle rampe vers moi. Elle dévore tout sur son passage. Elle transforme l'Être en Néant.
Elle est si proche. Je pose ma main sur le mur-peau.
Il se déchire comme du papier.
Et je la vois. La ville sous mes pieds. Le vent souffle sur mon visage. Les gens sont si petits.
Ils ne se doutent pas de ce qui se passe ici. Je dois les prévenir. Ils doivent arrêter la Kane-machine.
Je tourne la tête. De ma chambre, il ne reste plus que le lit. L’obscurité a remplacé les murs blancs.
Je saute dans le vide, prends la seule porte de sortie qu’il me reste.
Je cours dans les rues, il n’y a plus personne. Cette ville est un désert.
Je ne sais pas comment je suis arrivé là, comment je ne me suis pas fracassé les os en tombant.
Les vitrines me renvoient ma nouvelle image. Peut-être ont-ils peur de moi ?
« Il n’y a aucune sortie » La voix résonne et tourbillonne autour de moi. Je veux qu'elle cesse.
Je cours encore plus vite. Trouver quelqu’un. Le sauver. Me sauver.
L’ombre est sur mes pas. Je ne dois pas me retourner. Je le sais. Je sens sa froide noirceur sur mes talons.
Je me heurte à un mur blanc. Semblable à celui de ma chambre. Le déchiqueter avec mes lames est un jeu d’enfant.
J'entre dans une nouvelle case.
Un parc. Une fontaine et personne. Les jeux où s’ébattent d’ordinaire les enfants sont vides de leurs rires.
Je lève la tête, j’apostrophe les cieux : « Qu’as-tu fait d’eux ? T’amuser avec moi ne te suffisait-il pas ? »
« Oh, si. Tu me suffis, tu me suffis même amplement, Albafica. »
"Je n'ai même plus besoin d'eux."
L’ombre avale la fontaine, se repaît de l’eau. Sa faim est-elle donc sans limite ? Je reprends ma course effrénée.
Les mètres défilent sous mes foulées et j’essaie de me rappeler l’origine, la génèse de ma fuite.
Comment suis-je arrivé là ? Je me souviens de mon entrée dans le labo, il y a 2 jours. L'Enfer a un nom : Kane HX.
Mary qui me montre ma chambre. Et moi qui me félicite de ce calme. Pauvre fou que j'étais !
La seringue au liquide glauque et visqueux perçant ma peau, la substance sombre et maudite se répandant sous elle.
Le début. L'origine du cauchemar. La fissure qui déchire ma vie passée. Kane HX, la machine qui nous détruit. Tous.
Et puis cet éclair de lumière. Elle.
Son visage, son parfum, ses cheveux. Sa blessure. Sa détresse. Sa détresse.
Son contact, sa vie dans mes bras. Mes mains frôlant sa peau. Ses lèvres à portée des miennes.
Elle. Moi. Nous. L’espace d’un instant, si proches.
Je m’arrête et je ris comme un possédé : « Cet instant que je t’ai volé ! Ce moment qui était nôtre. »
La voix reste muette, cette fois. Mon rire s’estompe. Il a raison de se taire. Notre victoire sur lui était si mince.
Les nanobots s’agitent en moi. Ils ne veulent pas que j’y pense. Ils veulent que je leur appartienne. Ils me font mal.
Leur inertie n'était que feinte. Ne croyez jamais Kane HX.
Encore une fois, je me heurte au bord de ce monde. A ce mur-peau, infranchissable. Sans ciel au-dessus. Infini.
Ce mur qui respire tandis que je suffoque, ce mur qui vit alors que ma volonté meurt.
Et cette voix qui ricane autour de moi : « La fuite est inutile, pauvre petite création. »
La tête me tourne. Les mains autour du cou, je cherche l'air. Encore. Encore respirer. Je m'effondre, inconscient.
Je sombre dans le vide. Je sens des mains sur moi ! Instinctivement, j’enlève mon bras. Non, ne me touchez pas !
Je ne veux pas vous blesser. J’imagine les lames déchirant leur peau, répandant leur sang sur le sol.
Les mains ne me lâchent pas. Je sens la pointe d’une aiguille qui s’infiltre sous ma peau.
Que me faites-vous ? Le produit se répand dans mes veines. Je sombre encore.
Ne me supprimez pas.
Je me réveille dans une pièce que je ne connais pas.
Passe la main sur mon visage. Je vis ! Je vis !
Les dessins sur ma peau. Ils sont toujours là. Les lames aussi. Je m’étonne de les accepter comme étant moi.
Je me relève du lit. Le bleu de la pièce me plait. Plus de blanc. C’est terminé.
Mes pieds nus ne font aucun bruit sur le sol. Le miroir en pied me renvoie cette image désormais familière.
Moi. Mes volutes. Mes lames. Je souris à ce nouveau reflet.
Toute cette frayeur, cette fuite... Cette voix, cette solitude. Cela devait être des effets secondaires.
Le temps que mon corps intègre les nanobots. Le temps nécessaire pour qu'ils me modifient.
Je fouille dans l’armoire, trouve ce qui semble être une combinaison taillée pour moi.
Plutôt moulante, d’ailleurs. Mais elle a au moins le mérite de laisser passer mes lames.
Je pose ma main sur la poignée de la porte, craignant qu'elle ne s'ouvre pas.
Elle ne résiste pas. La lumière de la verrière m’éblouit. Elle s’ouvre sur un jardin ! C’est un jardin !
Je suis le couloir vitré. Au fond, une pièce avec un écran allumé. Sur la chaîne d’infos en continu.
Fasciné, je regarde ce qui s’est passé dans le monde durant ces 3 jours.
J’entends un bruit derrière moi, ressens une présence, hume un parfum. Son parfum.
Je me retourne. La découvre. Modifiée. Mais c’est elle. Tout ce métal sur elle. Elle est si belle. Je lui souris.
La voix du présentateur résonne dans la pièce : ... l’explosion du laboratoire de la Kane HX…
Je lui souris. La fin n'est que le commencement.
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Cette texte a été élaboré dans le cadre d'une Twittfic. Albafica et d'autres patients se voient injectés des nanobots inertes. Mais sont-ils vraiment inertes?
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